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Entretien avec Julien Welmant : Le mystère et la singularité de la fin de vie

Le Dr Julien Welmant est onco-radiothérapeute, spécialisé en radiothérapie pédiatrique à l'Institut régional du Cancer de Montpellier. Passionné de technologie et d'innovation en médecine, il est à l'origine du projet Mirokaï, une première mondiale visant à introduire des robots humanoïdes dotés d'intelligence artificielle pour accompagner les enfants en radiothérapie.

Son objectif ? Apporter les meilleures solutions de traitement et de prise en charge à ses patients, de jeunes patients atteints par le cancer. L'autre face de son quotidien professionnel est qu'avec le temps, le Dr Julien Welmant est devenu familier de la fin de vie.

Il a accordé à Sool une série d'entretiens, retranscrits et partagés ici pour aider les utilisateurs de Sool et leurs proches à mieux vivre leur approche de la fin de vie.

Aujourd'hui, Julien nous parle du mystère et de la singularité de la fin de vie.

Sool : Julien, vous accompagnez des patients jusqu’à la fin de leur vie. Une expérience hors du commun qui bouleverse et touche profondément. Comment vivez-vous ces instants ?

Julien : La fin de vie est un moment d’une intensité unique. Il ne s’agit pas seulement d’observer un corps qui s’éteint. On est témoin d’un processus à la fois biologique et profondément humain.

Parfois, les battements de cœur ralentissent, la respiration devient presque imperceptible, et puis… plus rien. Mais cet arrêt n’est pas suffisant pour déclarer un décès. C’est à ce moment-là qu’un médecin intervient, lampe de poche en main, pour vérifier les pupilles, le pouls, et poser ce constat si lourd de sens : "Il ou Elle est mort·e."

Sool : Vous dites que ce n’est pas qu’un acte médical. Y a-t-il une dimension plus profonde qui dépasse la science ?

Julien : Absolument. Quand j’étais jeune médecin, je pensais tout savoir. Les livres, les stages, les enseignements… Tout semblait clair et logique. Mais avec le temps, les rencontres, et des événements parfois déroutants, j’ai appris à douter.

Par exemple, il m’est arrivé de voir des patients en "pré-mortem" pendant des jours, parfois des semaines, alors que tout indiquait qu’ils auraient dû partir.

Puis, un événement déclencheur survient : la venue d’un petit-fils, un dernier au revoir, ou au contraire, un moment de solitude. Et là, comme si le corps avait attendu, la personne s’éteint. Cela dépasse nos connaissances ou nos croyances médicales.

Sool : Vous évoquez des cas où l’émotionnel semble influencer la fin de vie. Cela modifie-t-il votre perception de la médecine ?

Julien : Oui, cela m’oblige à envisager la médecine de manière plus globale.

Ken Wilber, avec sa théorie intégrale, propose un modèle fascinant qui mêle différentes perspectives : la médecine occidentale qui traite le corps, la médecine traditionnelle chinoise qui s’intéresse à l’harmonie intérieure, ou encore la psychothérapie qui explore l’individu. La mort n’entre pas dans une simple case avec une étiquette. Elle transcende et inclut tous ces aspects.

Sool : En tant que médecin, comment abordez-vous ce moment avec les familles ?

Julien : Avec une infinie précaution. Ce qu’on dit et la manière dont on le dit ont un impact considérable. Certaines familles veulent des explications purement factuelles. D’autres ont besoin de trouver un sens spirituel ou émotionnel à ce qu’elles vivent.

J’essaie toujours de respecter leur rythme et leur compréhension. La mort, quand elle est bien accompagnée, peut être une étape belle et paisible. C’est le début d’autre chose, un changement d’état, une transformation.

Sool : En tant que soignant, est-il difficile de garder espoir face à ces situations ?

Julien : L’espoir est essentiel, même dans les moments les plus sombres. Croire en quelque chose de plus grand que soi, que ce soit la science, une spiritualité ou simplement le lien humain, donne du sens à ce qu’on fait.

C’est paradoxal, mais accompagner la mort m’a appris à mieux apprécier la vie. C’est un rappel constant que chaque instant compte. "Vivre avant de mourir" (rires).

Sool : Vous semblez aussi remettre en question certaines vérités médicales. Est-ce lié à cette expérience quotidienne ?

Julien : Complètement. Chaque époque a ses vérités absolues. Aujourd’hui, nos techniques semblent infaillibles, mais elles ne le sont pas. Le doute est une force. Là où je disais autrefois : "Il n’y a aucune chance", je me surprends maintenant à penser : "Et si ?".

Certains phénomènes restent inexpliqués, comme ces patients qui défient toutes les raisons médicales de mourir. Cela me pousse à intégrer d’autres approches et à ne pas fermer les yeux sur ce qui échappe à la logique.

Sool : Enfin, quel message aimeriez-vous transmettre sur la fin de vie ?

Julien : La fin de vie fait partie de la vie. Nous sommes tous des "communs des mortels", mais chaque départ est unique. Plutôt que de voir la fin de vie comme une fin brutale, il faut l’accepter comme une étape, un passage.

Et pour ceux qui restent, il est essentiel de vivre pleinement, de cultiver des liens humains avec la personne qui part, car la solitude est souvent ce qui effraie le plus dans la mort.

Sool : Merci Julien pour ce témoignage à la fois bouleversant et inspirant. Nous nous retrouvons pour un prochain entretien pour parler de l’attachement du soignant face à la mort : entre empathie et protection.

Julien : Merci à vous.

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