Entretien avec Julien Welmant : La rédaction d’un certificat de décès
Le Dr Julien Welmant est onco-radiothérapeute, spécialisé en radiothérapie pédiatrique à l'Institut régional du Cancer de Montpellier. Passionné de technologie et d'innovation en médecine, il est à l'origine du projet Mirokaï, une première mondiale visant à introduire des robots humanoïdes dotés d'intelligence artificielle pour accompagner les enfants en radiothérapie.
Son objectif ? Apporter les meilleures solutions de traitement et de prise en charge à ses patients, de jeunes patients atteints par le cancer. L'autre face de son quotidien professionnel est qu'avec le temps, le Dr Julien Welmant est devenu familier de la fin de vie.
Il a accordé à Sool une série d'entretiens, retranscrits et partagés ici pour aider les utilisateurs de Sool et leurs proches à mieux vivre leur approche de la fin de vie.
Aujourd'hui, la rédaction d’un certificat de décès : du parcours administratif aux enjeux humains.
Sool : Bonjour Julien, dans notre premier entretien, nous parlions de la charge émotionnelle mais peu de la partie administrative du métier de médecin, en particulier de la rédaction des certificats de décès. Pouvez-vous nous expliquer comment concrètement vous remplissez un certificat de décès ?
Julien : Bien sûr. Rédiger un certificat de décès, c’est à la fois une formalité administrative essentielle et une étape délicate dans le parcours de soin d’un·e patient·e. Cela peut paraître simple, mais en réalité, c’est un véritable parcours du combattant. En tant que médecin, nous avons la responsabilité de constater le décès, d’en déterminer les causes, et d’assurer que toutes les informations soient correctement consignées dans un document officiel, puis parfois, et cela sort du cadre administratif, de parler aux familles.
Sool : À quoi ressemble concrètement un certificat de décès ?
Julien : Le certificat est divisé en plusieurs volets. Il y a d’abord une partie administrative qui contient des informations sur l’identité de la personne décédée : nom, date et lieu de naissance, commune de résidence, et bien sûr, la date, l’heure et le lieu du décès. Ensuite, il y a la partie médicale, où nous détaillons les causes du décès. Cette section est beaucoup plus technique.
Nous devons indiquer la cause initiale du décès, souvent une maladie ou un événement déclencheur, ainsi que les éventuelles co-morbidités. Par exemple, on ne peut pas simplement écrire "arrêt cardio-respiratoire". Ce serait incomplet. Il faut préciser la cause sous-jacente, comme un cancer ou une pathologie cardiaque, en indiquant l’intervalle estimé entre le début de la maladie et le décès.
Cela demande une précision importante. Et surtout de connaître ou rechercher les éléments d'information qui nous manqueraient pour rédiger correctement le certificat.
Sool : Vous parlez de précision. Quelles sont les difficultés que vous rencontrez ?
Julien : La première difficulté, c’est de rédiger à la main. Cela va sûrement évoluer, mais à ce jour, nous rédigeons toujours à la main !
Dans beaucoup de contextes, le certificat n’est pas encore numérique. On remplit tout sur papier, ce qui prend du temps et peut prêter à confusion si des informations doivent être corrigées. La deuxième difficulté, c’est la partie médicale : il faut être rigoureux dans le choix des termes pour éviter les erreurs ou les malentendus. Par exemple, si le décès est suspect ou lié à des circonstances particulières – accident, mort violente ou inexpliquée –, nous devons le signaler, ce qui peut déclencher une enquête judiciaire.
Il y a aussi des cas où des autopsies sont nécessaires, ou des obligations spécifiques comme une mise en bière rapide pour des raisons sanitaires, notamment si le défunt était porteur une maladie infectieuse.
Sool : Pouvez-vous détailler le processus en cas de décès "hors norme" ?
Julien : Si le décès semble suspect – une mort violente, inexpliquée ou dans des circonstances inhabituelles –, nous devons le signaler immédiatement aux autorités, souvent la police ou un·e procureur·e. Cela peut entraîner une mise en pause du processus funéraire, le temps qu’une enquête ou une autopsie soit réalisée. Ces situations sont délicates, car elles ajoutent une dimension émotionnelle et administrative supplémentaire pour les familles.
Il faut aussi mentionner les décès liés à l’activité professionnelle ou survenant pendant une grossesse. Ces éléments doivent être explicitement notés, car ils ont des implications administratives et légales importantes.
Sool : Que se passe-t-il après que vous avez rédigé le certificat ?
Julien : Une fois le certificat complété, il devient un document officiel. Il est transmis aux autorités compétentes, souvent la mairie, pour enregistrer le décès. Ce certificat est également indispensable pour que les pompes funèbres puissent intervenir : récupérer le corps, organiser les funérailles, ou le transporter vers un autre lieu, en cas de don du corps par exemple.
À l’hôpital, il y a des délais stricts. Par exemple, si une personne décède en chambre, elle doit être transférée à la morgue dans un délai de 8 heures. Cela signifie que le certificat doit être rédigé rapidement pour éviter des complications logistiques. Une fois tout cela fait, on n’en reparle plus, mais c’est une étape essentielle pour permettre aux familles de commencer leur deuil.
Sool : Vous avez mentionné les dons de corps. Pouvez-vous en dire plus ?
Julien : Beaucoup de gens expriment le souhait de donner leur corps à la science, mais peu de dossiers sont acceptés. Les critères sont stricts : certaines conditions médicales ou des circonstances spécifiques de décès peuvent empêcher l’acceptation du corps.
C’est souvent mal compris par les familles, et c’est une autre partie de l’administration qui peut générer des tensions parce qu'on a de moins en moins besoin de dons de corps pour la science. Avec le numérique, les intelligences artificielles, les algorithmes, l'évolution des connaissances devient de plus en plus pointu sans que nous ayons besoin d'avoir recours aux corps réels. Est-ce un bien ou un mal, je ne sais pas, mais c'est un fait qui soulage la charge administrative.
Sool : Enfin, en tant que médecin, quel regard portez-vous sur cette charge administrative ?
Julien : Elle est lourde, mais elle a un sens. Chaque certificat de décès est une pierre dans l’édifice du suivi de la santé publique, dans les statistiques épidémiologiques, et parfois dans des enquêtes judiciaires. Mais ce qui compte surtout, c’est de respecter le·la défunt·e et sa famille. Derrière chaque document, il y a une histoire, une vie. Même si cela ne prend que 15 minutes, il faut y accorder toute l’attention qu’il mérite.
Sool : Merci Julien pour cette plongée dans un aspect méconnu de votre métier. Dans notre prochain entretien, nous abordons le mystère et la singularité de la fin de vie.
Julien : Merci à vous de donner de la visibilité à ces gestes simples mais essentiels.