Entretien avec Julien Welmant : Constater un décès

Le Dr Julien Welmant est onco-radiothérapeute, spécialisé en radiothérapie pédiatrique à l'Institut régional du Cancer de Montpellier.
Son objectif ? Apporter les meilleures solutions de traitement et de prise en charge à ses patients, de jeunes patients, atteints par le cancer. L'autre face de son quotidien professionnel est qu'avec le temps, le Dr Julien Welmant est devenu familier de la fin de vie.

Il a accordé à Sool une série d'entretiens, retranscrits et partagés ici pour aider les utilisateurs de Sool et leurs proches à vivre autrement leur approche de la fin de vie.
Aujourd'hui, Julien nous parle du certificat de décès et de sa confrontation avec l'expérience de la constatation de décès dans le cadre de son exercice professionnel.

 
 
Julien Welmant onco-radiothérapeute radiothérapie pédiatrique Cancer Montpellier

On ne pleure pas, on ne craque pas, sauf… sauf parfois. Pour moi, l’exception, c’est quand il s’agit d’un enfant.”

Julien Welmant

 

Sool : Bonjour Julien, merci de prendre le temps de discuter avec nous aujourd’hui. Nous allons aborder un sujet difficile : la constatation du décès. Pour un médecin, est-ce qu’on est préparé à cette étape lors du cursus des études de médecine ?

 

Julien : Bonjour Sool. Non, je dirais qu’on ne nous prépare pas vraiment à ça. C’est paradoxal, mais malgré toutes les années d’études, il n’y a pas en France de formation pratique dédiée à cette étape cruciale.

On nous apprend les bases, bien sûr : les critères médicaux, le protocole à suivre pour déclarer un décès, remplir les certificats de décès, répondre à la demande médicale, aux questions de santé, mais il n’y a pas de formation sur l’aspect émotionnel, humain. Ce n’est pas comme si on avait des cours sur comment gérer ses propres émotions ou celles des familles.

 

Sool : Vous parlez d’une absence de préparation émotionnelle. Comment avez-vous vécu vos premières constatations de décès ?

 

Julien : C’est une expérience marquante. Je me souviens du premier décès que j’ai constaté en tant que jeune interne. J’avais 25 ans et le patient avait 36 ans. Je me souviens encore d’avoir été appelé : “Monsieur Welmant, il faut constater le décès.”

C’est un moment que je n’oublierai jamais. J’étais seul, de garde, responsable de beaucoup de choses, avec une cinquantaine de patients sous ma supervision. L’infirmière me dit que le patient de la chambre 107 est décédé. Là, je me retrouve face à la réalité, sur le lieu de décès.

J’ai suivi les étapes mécaniques : vérifier les pupilles, sentir l’absence de pouls, écouter le cœur, vérifier la respiration. Mais il y avait un aspect très distant, technique… et en même temps, j’étais bouleversé. Et je m'aperçois que le patient portait une pompe pour gérer la douleur. Ne sachant pas si cette pompe était équipée ou non d'une pile, s'il fallait la retirer - en cas d'incinération il faut supprimer tous les dispositifs munis d'une pile pour éviter l'explosion - j'appelle le pharmacien de garde, c'était un weekend. Il me recommande de la retirer.

Je suis donc seul avec l'infirmière devant la personne décédée, un scalpel à la main, et j'ouvre pour retirer la pompe qui se trouve en retrait derrière les entrailles que je dois écarter. L'infirmière fait un léger malaise. Je ne peut rien faire tant que je n'ai pas retiré cette pompe et refermé proprement l'ouverture pour que le patient décédé puisse être préparé dignement pour ses funérailles. Première expérience de constatation de décès marquante à vie !

 

Sool : Comment gère-t-on ce moment entre la médecine et l’humain ?

 

Julien : C’est difficile. En tant que médecin, on doit rester professionnel, être dans l’action, sur la ligne, surtout quand on est au milieu de 15 autres personnes qui attendent qu’on fasse notre travail, et surtout que le certificat de décès soit rempli et signé rapidement.

Mais il y a toujours ce moment où, après avoir fait le nécessaire, après avoir déconnecté le côté émotionnel pour constater le décès, il faut se reconnecter, et revenir à l’humain. On offre nos condoléances à la famille, on est présent. Mais c’est aussi un acte très technique, souvent solitaire.

On ne pleure pas, on ne craque pas, sauf… sauf parfois. Pour moi, l’exception, c’est quand il s’agit d’un enfant.

 

Sool : Vous parlez du cas des décès d'enfants, comment est-ce que cela change votre approche ?

 

Julien : La mort d'un enfant, c'est complètement différent. J’ai vécu une expérience très marquante avec un jeune garçon, qui s'appelait Victor. Lorsqu'il est mort, ça a été un moment où je n’ai pas pu retenir mes larmes.

Il y a quelque chose de profondément bouleversant dans la mort d’un enfant. C’est comme si l’empathie et la compassion prenaient toute la place. On ne peut pas rester détaché dans ces situations. Ce sont des moments qui changent votre perspective sur la vie, sur la fin de vie.

Cela m’a amené à repenser ma façon de travailler, à revoir mes priorités.

 

Sool : Vous semblez dire que la mort influence votre rapport à la vie ?

 

Julien : Absolument. La mort fait partie de la vie, mais on ne veut souvent pas y penser. Être confronté à la mort, presque quotidiennement dans mon métier, m’a poussé à ne pas vivre ma vie de manière mécanique.

À force de constater des décès, j'ai appris à donner du sens à ma propre existence. J’ai appris à mieux vivre en acceptant l’idée de la fin. Il y a quelques années, j’ai pris la décision de réduire mon temps de travail, de ne plus être à 100 % à l’hôpital, pour me consacrer aussi à d’autres aspects de ma vie.

J’ai compris que je ne voulais pas avoir de regrets plus tard, lorsque mon propre moment viendra.

 

Sool : Avez-vous vu des réactions particulières des familles dans ces moments difficiles ?

 

Julien : Chaque décès est unique, tout comme chaque famille est unique. Certaines personnes sont effondrées, d’autres soulagées que la souffrance s’arrête, et il y en a même qui semblent presque « délivrées » d’une certaine manière. Parfois, le silence est la meilleure réponse, d’autres fois, les mots sont nécessaires.

C’est un équilibre très délicat à trouver entre les médecins et la famille, entre la charge émotionnelle et la pratique médicale. Ce qui est important, c’est de ne jamais devenir mécanique dans cet acte. Il faut savoir être présent, offrir une dimension empathique sans être submergé par sa propre émotion, ni celle des autres. C’est là que réside toute la complexité de ce métier.

 

Sool : Comment faites-vous pour ne pas vous laisser submerger par tout cela ?

 

Julien : On apprend, avec le temps, à se protéger. Mais je dirais que la clé, c’est de trouver la bonne distance. Ni trop proche, ni trop distant.

On doit rester humain, tout en préservant un espace pour soi, pour ne pas être détruit par l’accumulation de ces moments difficiles. C’est un équilibre que chacun doit trouver au fil des expériences.

 

Sool : Merci beaucoup, Julien, pour ce témoignage poignant. Vous avez réussi à apporter un éclairage unique sur cette étape souvent taboue en médecine. Nous nous retrouvons pour un prochain entretien où nous parlerons de la rédaction d’un certificat de décès.

 

Julien : Merci à vous, Sool. À très bientôt.

 
 
Précédent
Précédent

Entretien avec Luna : Le tragique suicide d'un enfant

Suivant
Suivant

Entretien avec Julien Welmant : La rédaction d’un certificat de décès