Entretien avec Luna : Le tragique suicide d'un enfant

Luna est alternante dans une entreprise de Pompes Funèbres en région parisienne. Elle a accepté de partager régulièrement son ressenti professionnel et de nous raconter certaines histoires anonymisées auxquelles elle est confrontée.

 
 
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“Je veux être utile à chaque personne, même si c'est difficile de prendre du recul ou de comprendre le comportement de certains proches en deuil.”

Luna

 

Sool : Bonjour Luna, merci de nous recevoir à nouveau. Aujourd'hui, j'aimerais aborder un sujet très sensible, celui du suicide. Vous avez récemment accompagné une famille dans cette situation tragique. Pouvez-vous nous en parler ?

 

Luna : Bonjour Sool, bien sûr. Cette situation était extrêmement délicate. Un père nous a appelés après que l'un de ses trois fils, adolescent en souffrance, s'est suicidé. C'est un de ses autres fils qui a découvert le corps… Vous pouvez imaginer la douleur et le choc pour cette famille.

Le père était en colère, il voulait que tout aille très vite, que son fils soit enterré rapidement, mais c'était très compliqué.

 

Sool : Quelles sont les complications auxquelles vous avez été confrontée dans ce cas ?

 

Luna : En plus de la crise et de l'état de santé mentale de la famille, la principale difficulté a été la gestion administrative de ce décès.

Dans ce genre de situation qu'on qualifie de mort violente, la police doit être appelée, puis, même si un médecin peut signer un acte de décès, la présence d'un médecin légiste, pour faire les constatations et valider qu'il s'agit bien d'un suicide, est obligatoire. Tant que le suicide n'est pas confirmé par le légiste, le corps reste à la morgue et la famille ne peut pas le voir.

Quand cette famille vient nous voir, nous sommes en plein mois d'août, tout le monde est en vacances. Appel après appel, impossible de trouver un médecin légiste disponible. Ça a pris cinq ou six jours avant d'en trouver un disponible pour constater le décès.

Pendant tout ce temps, le père nous appelait chaque jour pour savoir quand il pourrait enfin enterrer son fils. Il était complètement à l'arrêt, rongé par la colère de ne pouvoir voir son fils et l'impuissance de régler la situation, avec en plus ses autres fils choqués à consoler, dont celui qui avait trouvé le corps.

 

Sool : Ça doit être extrêmement frustrant pour les familles. Y a-t-il quelque chose qui aurait pu être fait pour accélérer le processus ?

 

Luna : Malheureusement, il n'y a pas de service minimum pour les médecins légistes, comme ce que l'on peut voir dans d'autres professions, ce qui est parfois un véritable problème pour un décès.

C'est une complexité administrative qui ajoute une souffrance supplémentaire à une douleur déjà immense. Il faut naviguer entre plusieurs instances : la mairie, les légistes, la police, la chambre funéraire… tout en proposant une écoute attentive de toute la famille.

Tout cela ralentit le processus, alors que la famille a juste besoin de commencer à faire son deuil. Heureusement, le père a finalement pu voir son fils, ce qui lui a permis de commencer son travail de deuil et a facilité l'organisation de la cérémonie pour les autres enfants.

 

Sool : Ce type de situation doit vous affecter personnellement. Comment gérez-vous cela au quotidien ?

 

Luna : Au début, je me demandais si je pourrais continuer dans ce métier. C'est lourd, émotionnellement parlant. C'est difficile de faire face, d'accepter son impuissance devant le risque de suicide par exemple. De ne pas être submergée par la diversité des pensées qui nous traversent. Mais paradoxalement, ces expériences me donnent aussi envie de continuer, de revenir chaque jour.

Je veux être utile à chaque personne, même si c'est difficile de prendre du recul ou de comprendre le comportement de certains proches en deuil. C'est un équilibre complexe à trouver entre l'action quotidienne et la réflexion sur comment mieux accompagner les familles.

Chaque situation me pousse à réfléchir à comment améliorer notre façon de faire, comment être plus efficace pour obtenir des résultats bénéfiques aux familles, tout en restant la plus humaine possible. Comment travailler en équipe pour que la cérémonie reste un "beau souvenir" qui ouvre la porte du deuil à accomplir.

 

Sool : Votre rôle semble crucial, non seulement pour la gestion des obsèques, mais aussi pour soutenir les familles dans des moments d'une extrême fragilité.

 

Luna : Oui, c'est exactement ça. Nous sommes là pour les guider à travers les dédales administratifs et émotionnels.

C'est un travail qui demande beaucoup d'empathie, de compassion et de patience, et qui est réellement utile. On se dit que si on peut alléger ne serait-ce qu'un peu la peine des familles, alors on a fait quelque chose de bien. C'est émotionnellement satisfaisant dans un contexte émotionnel déstabilisant.

 

Sool : Merci, Luna, pour ce témoignage poignant. Votre travail est essentiel, et il est important de comprendre les défis que vous rencontrez.

 

Luna : Merci à vous, Sool, de mettre en lumière ces aspects de notre métier. C'est un travail difficile, c'est vrai, mais savoir qu'on peut apporter du réconfort, même dans les pires moments, donne un sens à ce choix.

 

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