Entretien avec Julien Welmant : Le deuil de l’immortalité
Le Dr Julien Welmant est onco-radiothérapeute, spécialisé en radiothérapie pédiatrique à l'Institut régional du Cancer de Montpellier.
Son objectif ? Apporter les meilleures solutions de traitement et de prise en charge à ses patients, de jeunes patients, atteints par le cancer. L'autre face de son quotidien professionnel est qu'avec le temps, le Dr Julien Welmant est devenu familier de la fin de vie.
Il a accordé à Sool une série d'entretiens, retranscrits et partagés ici pour aider les utilisateurs de Sool et leurs proches à vivre autrement leur approche de la fin de vie.
Aujourd'hui, Julien nous parle du deuil de l’immortalité.
Sool : Bonjour Julien, aujourd’hui, vous souhaitez évoquer un thème délicat : le deuil de l’immortalité. Pouvez-vous expliquer ce concept ?
Julien : Bien sûr. Le "deuil de l’immortalité", c’est ce moment où une personne, souvent confrontée à une maladie incurable ou à un diagnostic sombre, réalise que sa vie est finie à court terme.
Cette prise de conscience bouleverse profondément. Elle touche à des illusions que nous entretenons tous : celle d’avoir toujours du temps devant nous, celle que les "autres" tombent malades, mais pas nous.
C’est un choc émotionnel, un mélange de déni, de colère, et parfois de regrets. Nous y sommes, ou y serons tous confrontés.
Sool : Quels sont les regrets que vous observez le plus souvent chez les patients en fin de vie ?
Julien : Ce sont des regrets universels, mais profondément humains. Une infirmière australienne, Bronnie Ware, avait écrit un livre sur ce sujet après avoir accompagné des centaines de patients. Ils évoquent souvent des choses simples : ne pas avoir eu le courage de vivre selon leurs propres désirs, avoir travaillé trop dur, avoir négligé leurs proches.
À l’heure des comptes, ce qui importe, ce n’est pas ce qu’on a eu, mais ce qu’on a été. Ce qu’on a partagé. La vie se mesure à l’être, pas à l’avoir. Pour chacun.
Je n'imagine pas d'exemple d'une personne mourante qui sur son lit de mort ferait le bilan de ses avoirs. Nous faisons tous le bilan de nos actes, accomplis ou non.
Sool : Comment accompagnez-vous vos patients dans cette transition vers l’acceptation de leur finitude ?
Julien : Cela commence par reconnaître l’incertitude. Quand on annonce qu’il n’y a plus de traitements curatifs efficaces, on ouvre une période d’incertitude : quelques mois, quelques semaines… On ne sait pas.
Mon rôle est alors de rendre cette période aussi paisible et significative que possible. Les soins palliatifs ne sont pas une fin, mais un accompagnement pour retrouver une qualité de vie acceptable.
Je dis souvent aux familles : "Ce n’est pas une condamnation immédiate, mais un moment pour créer du sens, pour aimer et être aimé."
Sool : Que conseillez-vous aux familles dans ces moments difficiles ?
Julien : D’abord, ne jamais culpabiliser le patient. Lui rappeler qu’il a trop fumé, trop bu, ou qu’il aurait pu faire plus attention, ne sert absolument à rien. Cela ajoute un poids inutile à une situation déjà complexe.
Ensuite, il faut oser mettre à plat les relations. Dire les choses qui comptent, exprimer ce qu’on ressent. Une fois la personne partie, les regrets liés à ce qu’on n’a pas dit sont souvent les plus douloureux. La communication, aussi délicate soit-elle, est essentielle.
Sool : Vous parlez également de vérité et de mensonge dans l’accompagnement. Quelle est votre position à ce sujet ?
Julien : C’est un sujet délicat. J’essaie toujours d’être honnête avec mes patients. Cela dit, il m’est arrivé de minimiser certaines informations pour préserver une personne particulièrement fragile. Mais même dans ces rares cas, je me questionne : qui suis-je pour décider ce qu’un patient doit savoir ?
Je privilégie toujours la vérité adaptée, expliquée avec des mots les plus justes possibles, pour ne pas créer de malentendus ou de faux espoirs. Le mensonge, même bienveillant, reste un risque.
Sool : Est-ce que cette proximité avec la fin de vie change votre perception de la vôtre ?
Julien : Énormément. Accompagner des gens en fin de vie est un miroir. On voit à travers eux ce qui compte vraiment : les relations, les moments simples, le sens que l’on donne à nos actions. Cela m’a appris à vivre autrement, à moins courir après des objectifs superficiels. Et, paradoxalement, cela m’a rendu plus serein face à la mort.
Je connais la fin de l’histoire pour chacun de nous, alors autant vivre pleinement avant d’y arriver.
Sool : Si vous aviez un message à transmettre, quel serait-il ?
Julien : Prenez soin des liens que vous entretenez avec les autres. Apprenez à vivre pour "être", pas seulement pour "avoir". Et surtout, ne remettez pas à plus tard les discussions importantes, les pardons, les élans d’amour.
Nous ne sommes pas immortels, et c’est peut-être ce qui donne tout son prix à la vie.
Sool : Merci, Julien, pour ce témoignage qui résonne profondément. Dans un prochain entretien, nous aborderons un sujet au croisement de la technologie, de la science, et de la philosophie.
Julien : Merci à vous, Sool, de porter ces réflexions à un public plus large. Le deuil de l’immortalité est un sujet difficile, mais il est essentiel de l'aborder.