Cercueil thérapie et fausses morts : entre thérapie, illusion et renaissance sociale
Dans le monde entier et particulièrement en Russie, une pratique singulière et intrigante gagne du terrain : la « cercueil thérapie ». Cette expérience immersive, consistant à simuler ses propres funérailles, attire un public de plus en plus large en quête de sens ou de réconciliation avec eux-mêmes.
Derrière cette idée surprenante se cache une réflexion profonde sur notre rapport à la vie et à la mort, un sujet universel qui trouve des échos dans d’autres cultures.
Une immersion dans l’au-delà : en quoi cela consiste-t-il ?
La « cercueil thérapie » offre une expérience troublante où les participants vivent une simulation complète de leurs obsèques. Cette pratique, proposée dans certains centres funéraires russes, inclut des étapes soigneusement orchestrées pour reproduire un enterrement traditionnel.
Les participants commencent par être préparés comme s’ils étaient décédés, parfois en visitant une chambre froide pour accentuer le réalisme. Ensuite, ils s’allongent dans un cercueil, assistent à une cérémonie d’adieu en présence de proches (parfois fictifs), avant d’être transportés en corbillard vers un lieu d’inhumation symbolique. Une fois sur place, le cercueil est recouvert de terre pour quelques instants.
Pour ceux qui souhaitent aller plus loin dans leur "cercueil thérapie", il est possible de passer quelques minutes dans le cercueil, dans un environnement totalement sombre et clos, simulant ainsi l’idée d’être « enterré·e vivant·e ». Selon les promoteurs de cette méthode, cette mise en scène cathartique vise à faire ressortir des émotions refoulées, à encourager une prise de conscience et, paradoxalement, à raviver l’envie de vivre.
La cercueil thérapie, une approche thérapeutique ou un choc psychologique ?
La « cercueil thérapie » s’adresse en premier lieu aux personnes en crise existentielle : celles souffrant de dépression, de pensées suicidaires ou ayant perdu tout goût à la vie.
Ekaterina Kostyleva, qui dirige un centre funéraire proposant cette expérience, insiste sur l’importance d’un suivi psychologique avant et après l’exercice. Elle explique que ce type de confrontation extrême peut amener à un « sursaut de vie », une sorte de renaissance psychologique.
Cependant, cette approche est loin de faire l’unanimité. Les psychologues avertissent que ce genre d’expérience peut être risqué, en particulier pour des personnes déjà fragiles.
Tina Nikolova, psychologue spécialisée en thérapie du trauma, souligne que l’exposition à un stress extrême peut provoquer des effets secondaires indésirables : crises de panique, troubles schizophréniques ou même des épisodes d’épilepsie. Elle reconnaît néanmoins que, dans certains cas, cette confrontation brutale avec la mort peut déclencher une euphorie ou un profond soulagement.
Cercueil thérapie : un succès croissant malgré les controverses
Malgré ces mises en garde, la « cercueil thérapie » séduit de plus en plus de Russes. Les centres proposant ce service, comme celui d’Evgeniya Zlobina à Ijevsk, affichent complet des mois à l’avance. Les participants viennent de tout le pays, souvent poussés par des témoignages positifs ou une curiosité personnelle.
Cette popularité de cette pratique n’est pas étrangère au contexte culturel et historique de la Russie. Marqué par des périodes de bouleversements, des guerres et des crises économiques, le pays entretient une relation complexe avec la mort. Dans cette optique, la « cercueil thérapie » peut être perçue comme une réponse contemporaine à des questionnements ancestraux sur la mortalité.
Cependant, cette pratique suscite aussi des critiques, notamment de la part de l’Église orthodoxe. Le prêtre David Bobrov s’inquiète des effets spirituels potentiels, craignant que la banalisation de la mort ne pousse les participants à perdre leur respect pour ce moment sacré. D’autres dénoncent un phénomène sensationnaliste, davantage motivé par le profit que par une réelle quête thérapeutique.
La « mort simulée » dans d’autres cultures
Si la « cercueil thérapie » semble singulièrement russe, des pratiques similaires existent ailleurs dans le monde.
Corée du Sud
En Corée du Sud, par exemple, des centres de « Happy Dying » permettent aux participants de rédiger leur testament, de s’allonger dans un cercueil et de méditer sur leur propre fin. Ces séances, souvent encadrées par des professionnels, visent à réduire le stress et à encourager une réflexion sur les priorités de vie. Contrairement à la Russie, cependant, ces expériences sud-coréennes sont généralement moins immersives et plus axées sur la méditation que sur l’émotion brute.
Les familles visitent les cimetières, nettoient les tombes et déposent des fleurs et des offrandes alimentaires pour honorer leurs proches disparus.
Japon
Au Japon, où la culture accorde une grande importance à la préparation de la mort, des pratiques similaires prennent une tournure plus spirituelle. Certaines retraites zen incluent des exercices méditatifs centrés sur la conscience de la mort. L’objectif est de cultiver la sérénité et d’embrasser l’impermanence de l’existence.
États-Unis
Aux États-Unis également, des initiatives émergent. Des ateliers explorent la « mort consciente », combinant méditation et visualisation pour aider les participants à accepter leur propre mortalité. Bien que ces méthodes soient moins intenses que la « cercueil thérapie », elles reflètent une même quête de sens face à une réalité inévitable.
La cercueil thérapie dans la littérature
C'est en entendant parler de ces rituels en Corée du Sud que David Foenkinos a trouvé le sujet de son dernier livre La Vie heureuse.
Son récit met en scène un homme qui décide d’organiser ses propres funérailles pour mieux comprendre ce que les autres pensent de lui et pour confronter ses peurs.
Avec son style mêlant ironie et sensibilité, Foenkinos offre une réflexion poignante sur la vanité, les relations humaines et la quête d’authenticité.
Son approche, bien que fictive, résonne profondément avec l’essence de la « cercueil thérapie » : se confronter à l’idée de sa propre mort pour apprendre à mieux vivre.
Pourquoi cet engouement pour la mort ?
La popularité croissante de la « cercueil thérapie » et de ses variantes s’inscrit dans une tendance globale : une volonté de mieux comprendre et appréhender la mort. Dans un monde où la mort est souvent taboue, ces pratiques offrent un espace pour réfléchir à la finitude de la vie. Elles répondent à un besoin universel de trouver du sens dans un environnement de plus en plus incertain.
En Russie, ce phénomène peut également être interprété à travers le prisme des traumatismes collectifs. Avec une histoire marquée par des pertes massives de population et des changements abrupts, les Russes pourraient voir dans cette thérapie une façon de se réconcilier avec un passé douloureux tout en regardant vers l’avenir.
Une leçon universelle sur la vie et la mort
Au-delà des controverses, la « cercueil thérapie » soulève des questions pertinentes sur notre rapport à la mort. Peut-elle être un outil efficace pour redécouvrir la vie ? Ou s’agit-il d’une simple mode sensationnaliste ? Quoi qu’il en soit, cette pratique témoigne d’un besoin croissant de se confronter à l’inévitable pour mieux apprécier ce que nous avons.
Pour beaucoup, la « cercueil thérapie » offre une perspective inédite sur la vie, en forçant à reconnaître ce qui est vraiment important. D'autres y voient un miroir troublant de nos propres peurs. Mais dans tous les cas, elle rappelle une vérité fondamentale : la mort, loin d’être une fin, peut être une invitation à vivre pleinement.